mardi 2 décembre 2014

Dernières nouvelles

Bonsoir à tous,

Après un mois d'écriture intensive pour le NaNoWriMo, l'heure est au bilan.
J'ai battu mon record personnel de l'année dernière, 100 058 mots écrits cette année, un peu plus de 220 pages, un rythme d'écriture comme j'en avais rarement connu, et au final, un premier jet pour le tome 4 de la Septième Prophétie, qui reviendra aux sources de l'histoire, du point de vue des Saigneurs des Ténèbres.
J'ai apprécié d'explorer cette partie que je n'avais fait qu'effleurer dans les deux premiers tomes, et notamment de faire vivre le personnage d'Arnella, seulement évoquée par les autres sans jamais être présente.
Il me reste encore une partie à écrire pour faire la jonction avec les événements racontés dans les deux premiers tomes, mais je vais faire une pause, le temps de reprendre le tome 3, déjà en cours d'écriture, mais sous forme d'un énorme puzzle pour l'instant, il va y avoir du travail !

Après l'opération de novembre de L'Invasion des Grenouilles, voici celle de décembre:

 


Dans le cadre de cette opération, je vous propose de découvrir une amie auteur (et bêta-lectrice de valeur qui m'aide beaucoup), Catherine LOISEAU : découvrez son site et ses textes ici : http://catherine-loiseau.fr/

Bonne lecture, et à bientôt !

 

vendredi 31 octobre 2014

Les auteurs de SFFFH francophones ont du talent

 
Comme annoncé dans mon dernier message, durant le mois de novembre, je participe à l'opération "les auteurs de SFFFH francophones ont du talent".

Je vous présente donc le premier tome de ma série de fantasy "La Septième Prophétie", "Trois êtres d'exception", dont voici le premier chapitre :

Chapitre 1
 
Le soleil brillait dans le ciel et éclaboussait de sa clarté le château du Commandeur de la province de Seliny, dédiée à la Déesse Lune, renforçant l’ambiance de fête qui y régnait ce jour-là.
Dans la cour, des chariots et des litières étaient rangés contre les murailles, témoignant de la présence de nombreux invités. Un peu plus loin, les escortes de ces derniers discutaient par petits groupes en buvant et en mangeant. Des serviteurs traversaient l’endroit d’un pas pressé, chargés de plats fumants et odorants qu’ils emportaient dans les salles où tous les habitants du château festoyaient. Des marmitons couraient au puits remplir des seaux qu’ils rapportaient à toute allure aux cuisines, perdant dans leur précipitation un peu de leur contenu. Du haut des remparts, les gardes jetaient parfois un coup d’œil envieux à ce qui se passait en contrebas. Mais ils ne pouvaient pas encore participer aux réjouissances, leur rôle exigeait qu’ils restent à leur place pour surveiller les alentours. La menace était forte et leur vigilance essentielle. Ils soupirèrent en regardant le soleil haut dans le ciel : l’heure de la relève n’était pas encore arrivée, ils allaient devoir patienter avant de pouvoir prendre part à la fête et se régaler à leur tour.

Dans la grande salle du château, les conversations se mêlaient à la musique et aux chants des baladins. La vaste pièce était décorée de guirlandes de feuilles et de fleurs blanches entremêlées qui serpentaient le long des murs, répandant leur odeur discrète. Des brassées de lys, de roses et de lilas avaient été jetées au bout des tables pour compléter la décoration. Une soixantaine de convives était réunie pour fêter les fiançailles de Lycos, le fils du Commandeur, avec Laurana, son amour d’enfance. Bien que ces temps troublés ne soient guère propices à de telles réjouissances, Arondas de Seliny, le Commandeur, avait décidé de célébrer dignement cette occasion. C’était un défi de plus lancé aux Saigneurs des Ténèbres, qui semaient la terreur sur le continent d’Ipiros depuis six mois. Arondas était également à l’origine d’une expédition qui allait se mettre en branle quelques jours plus tard pour les combattre. Convaincu que seule une armée de grande envergure réussirait à abattre leurs ennemis, il avait envoyé un message à tous les Commandeurs des provinces d’Ipiros pour les inciter à se joindre à sa croisade. Il leur avait donné rendez-vous quatre jours après les fiançailles dans la plaine de Peziaza, qui serait le point de départ de l’expédition. Pour l’heure, les messagers étaient revenus sans réponse précise quant à ceux qui répondraient à l’appel : presque tous avaient indiqué y réfléchir et, s’ils acceptaient, être au rendez-vous. Arondas avait fulminé devant ces réactions évasives : allaient-ils tous se terrer en attendant d’être attaqués à leur tour ? Il était insensé qu’ils ne veuillent pas se battre alors que le danger les menaçait tous.
Le Commandeur mit sa rancœur de côté pour présider le banquet et parcourut l’assemblée du regard. Tous ses vassaux étaient présents : certains semblaient contents d’être là, d’autres moins, et leur mine renfrognée le montrait clairement. Arondas connaissait la raison de cette rancune : en tant que Commandeur, il leur avait ordonné de participer à l’expédition sans leur laisser le choix, or il savait qu’une partie d’entre eux la désapprouvait et voulait y échapper. Habituellement, il n’était pas homme à abuser de son pouvoir pour forcer ses sujets à lui obéir, mais la situation était trop grave pour tergiverser et il devait agir. Il faudrait une armée nombreuse pour vaincre les Saigneurs des Ténèbres, raison pour laquelle il avait exigé un contingent précis de soldats de la part de tous. Organiser les fiançailles de son fils et convier ses vassaux à cette fête était une façon d’atténuer son abus d’autorité, mais il savait que ça ne suffisait pas. Arondas se tourna vers son voisin, Aros, son vassal le plus fidèle, qui était aussi le père de la fiancée. Ce dernier lança à son Commandeur un regard qu’il comprit aussitôt. Arondas se pencha vers son ami et lui chuchota à l’oreille avec un sourire entendu :
« Cette fête n’est pas du goût de tout le monde, n’est-ce pas Aros ?
— Non, et ils ne s’en cachent pas. Certains te reprochent l’expédition et d’autres désapprouvent le choix de ma fille comme épouse pour Lycos. Ils auraient préféré que tu choisisses la leur, bien sûr ! »
Le Commandeur secoua la tête avant de le corriger :
« Tu sais très bien que c’est Lycos qui l’a choisie, je n’ai fait qu’approuver son choix.
— Tu as laissé parler l’amour plutôt que la politique. D’autres seigneurs sont plus puissants que moi.
— Mais moins fidèles et surtout trop ambitieux à mon goût ! Les introduire dans ma famille aurait renforcé leur arrogance. Il est bon de les remettre à leur place. »
Aros parcourut la salle du regard et fit remarquer en fronçant légèrement les sourcils :
« Je ne vois pas Bronius, comment peut-il te faire l’affront de ne pas être là ?
— Il s’est blessé au cours d’une chasse il y a quelques jours et s’est fait excuser en envoyant un messager avec un présent somptueux pour les futurs mariés. Je l’ai remercié en lui rappelant que s’il ne pouvait participer lui-même à notre croisade, j’attendais tout de même ses soldats au point de ralliement. »
Aros eut un petit rire moqueur :
« J’imagine que cette réponse n’a pas dû lui plaire ?
— Je l’ignore, je n’ai pas encore eu de retour. De toute façon, c’est son intérêt d’obéir : plus notre armée sera nombreuse, plus nos chances de victoire seront grandes. »
Cette réflexion amena une nouvelle question à l’esprit d’Aros :
« Et les autres Commandeurs ? Tu ne sais toujours pas qui viendra ?
— Aldébaran d’Ylios est le seul à avoir accepté tout de suite. Ce garçon n’a beau avoir que vingt-quatre ans, il est le digne fils de son père. Eogan serait fier de lui.
— Tu dis qu’il est le seul ? »
Arondas soupira tandis que la contrariété envahissait son visage :
« Oui, les autres devaient réfléchir. Je ne comprends pas qu’ils hésitent alors que le danger est à nos portes ! Allons-nous attendre qu’ils nous massacrent un par un au lieu de nous battre ensemble pour les écraser une bonne fois pour toute ?
— Ils comptent sur la réalisation de la Septième Prophétie. »
Le Commandeur sentit la colère l’envahir à cette réponse et gronda à voix basse :
« Je n’en peux plus de patienter, et ce n’est pas parce que les six premières se sont réalisées que celle-ci va s’accomplir aussi. Six mois qu’ils ravagent nos provinces et rien ne s’est passé ! Combien d’autres morts y aura-t-il si nous ne faisons rien ? »
Aros tendit les mains devant lui dans un geste d’apaisement :
« Tu as raison, bien sûr, mais les gens ont peur, surtout vu la façon dont ces démons ont brusquement ressurgi alors que nous pensions tous que leurs os blanchissaient sous le soleil du Désert de Feu depuis cinq ans !
— Ça a été notre première erreur : ne pas les poursuivre en pensant qu’ils allaient mourir dans le désert, de faim, de soif ou de fatigue. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé là-bas pendant tout ce temps, mais une chose est sûre, ils ont trouvé le moyen de survivre et de gagner la puissance qu’ils ont aujourd’hui. »
Arondas se tut un instant, l’air sombre, puis reprit après un soupir :
« Il est malheureusement trop tard pour avoir des regrets, et ce n’est pas le moment pour ça. Aujourd’hui est jour de fête pour nos enfants, ne le gâchons pas.
— Tu as raison, amusons-nous un peu, il sera temps de penser à la guerre demain. »
Les deux hommes prirent leur coupe et trinquèrent.
Un peu plus loin, Lycos était assis à côté de Laurana, à l’autre place d’honneur du banquet. Les deux jeunes gens avaient grandi ensemble et à leurs jeux d’enfants avaient succédé les premiers émois amoureux, jusqu’au jour où Lycos avait annoncé à ses parents sa volonté d’épouser la jeune fille. À son grand soulagement, son père avait aussitôt accepté, sans tenter de lui imposer une alliance politique avec une épouse qui lui aurait déplu. Le jeune homme aurait donc dû être fou de joie pendant cette fête qui officialisait son amour pour Laurana. Pourtant, la prochaine croisade de son père assombrissait son humeur, car elle planait comme une menace au-dessus de la petite assemblée. Lycos était surtout furieux de la décision de son père de l’exclure de l’expédition, car Arondas lui avait ordonné de rester au château pour veiller à la sécurité des habitants. Le jeune homme savait bien que quelqu’un devait s’en charger, mais il avait espéré que cette mission serait confiée à un autre et qu’il irait se battre avec son père et son futur beau-père. Il avait tenté en vain de protester : le Commandeur lui avait fait valoir qu’un représentant mâle de la famille devait rester sur leurs terres pour les diriger en son absence, et le jeune homme n’avait pu que s’incliner face à ses ordres. Laurana comprit ce qu’il avait sur le cœur : elle se pencha vers lui et essaya de le détendre en lui chuchotant à l’oreille :
« Lycos, mon chéri, tu devrais sourire un peu ou les gens vont finir par penser que tu n’as pas envie de m’épouser ! »
Il sursauta et ne put s’empêcher de rougir légèrement sous la remarque. Il se tourna vers sa dulcinée et lui prit la main en souriant d’un air contrit, répondant sur le même ton :
« Excuse-moi mon amour, tu as raison. C’est jour de fête pour nous deux, je ne dois pas le gâcher. »
Il se pencha vers elle et déposa un tendre baiser sur ses lèvres ; quelques applaudissements vinrent le saluer et les deux tourtereaux s’empourprèrent en souriant. Un musicien se mit à jouer un air entraînant, aussitôt suivi par le reste de l’orchestre. Des jeunes gens se levèrent de table et commencèrent à former une farandole au rythme de la musique : ils passèrent à proximité de la table des fiancés et les entraînèrent avec eux. Lycos admira le sourire éclatant de Laurana tandis qu’elle dansait et il laissa de côté son humeur sombre pour s’amuser avec elle.
De sa place, Arondas suivait des yeux avec bienveillance les danseurs : il était heureux de voir que, pour quelques heures au moins, les Saigneurs des Ténèbres étaient oubliés. Un serviteur déposa devant lui un faisan rôti au fumet succulent ; avec appétit, le Commandeur s’en servit une cuisse dans laquelle il mordit à pleines dents. Un peu de jus coula sur sa barbe, qu’il essuya du revers de la main. Comme lui, Aros dévorait sa viande de bon appétit, avec ses doigts. Leurs épouses, plus raffinées, utilisaient leurs couverts pour déguster leurs mets. Une servante passa remplir les coupes d’un vin rouge épais, sombre comme le sang, au bouquet capiteux. Les deux hommes en burent un peu, savourant son goût puissant dans leur bouche.
Autour d’eux, l’atmosphère se détendait : les boissons et la nourriture aidant, les mines des convives étaient moins renfrognées et tous finissaient par s’amuser. Les musiciens redoublaient d’ardeur pour faire danser les jeunes gens à des rythmes de plus en plus endiablés. Lycos avait pris Laurana dans ses bras pour une ronde effrénée : la jeune fille tournoyait, à bout de souffle, en laissant éclater son bonheur. Elle passa les bras autour du cou de son fiancé pour ne pas tomber, laissant échapper un rire cristallin qui couvrit quelques notes de musique.

La fête battait son plein quand, soudain, Arondas sursauta : au travers du brouhaha de la fête, il venait d’entendre des rumeurs au-dehors et quelques cris. À côté de lui, Aros aussi les avait perçus et il s’était raidi. Le Commandeur fit signe à son ami de ne rien laisser paraître ; d’un geste discret, il appela son intendant et lui ordonna à voix basse d’aller voir ce qui se passait, sans alarmer les convives qui semblaient ne rien avoir remarqué. Arondas leva la tête et croisa le regard de son fils : si son visage était toujours joyeux en apparence, il lut dans ses yeux que, comme lui, le jeune homme avait senti quelque chose.
Quelques minutes de tension s’écoulèrent pour eux : les invités ne s’étaient toujours rendu compte de rien. Arondas et Aros attendaient les nouvelles, nerveux. Le Commandeur sentit la main de son épouse se poser sur la sienne : elle aussi avait conscience de la menace. Il se pencha vers elle et lui murmura à l’oreille :
« Si le danger se confirme, rassemble les femmes et les enfants et réfugiez-vous dans les souterrains.
— Entendu. »
Le cri perçant du cor d’alarme retentit au moment où l’intendant revenait en courant dans la grande salle. Ce son fut aussitôt recouvert par un énorme bruit qui retentit en faisant vibrer tout le château. La musique et les chants s’arrêtèrent net et tous purent entendre l’intendant annoncer au Commandeur d’une voix affolée :
« Les Saigneurs des Ténèbres viennent de surgir de nulle part, ils attaquent le château et sont déjà à la grande porte ! »
La panique s’empara aussitôt des invités : certains se mirent à crier, accusant Arondas de les avoir attirés dans un piège. Les femmes se lamentaient, les enfants pleuraient ou couraient dans tous les sens, affolés par la soudaine agitation. Le Commandeur se leva et tonna d’une voix puissante, pour mettre fin au brouhaha :
« Taisez-vous ! Ça suffit, écoutez-moi ! »
Le silence se fit dans la salle, presque aussitôt brisé par les rumeurs des combats féroces qui se déroulaient au-dehors et les cris sauvages poussés par les assaillants. Arondas reprit en haussant le ton, pour tenter de couvrir les bruits :
« Que les femmes et les enfants se rassemblent autour de mon épouse ! Quant aux hommes, qu’ils viennent se battre avec moi ! »
Le tumulte enflait à l’extérieur de la grande salle et le Commandeur comprit qu’une partie des Saigneurs des Ténèbres avait réussi à forcer le barrage des soldats pour arriver jusqu’à eux. Ses hommes étaient pourtant nombreux et bien entraînés, il ne comprenait pas comment leurs ennemis avaient pu les vaincre si vite. Il se félicita d’avoir gardé son épée avec lui et la tira de son fourreau pour montrer à tous qu’il n’avait pas peur du danger. Lycos prit Laurana dans ses bras et lui donna un rapide baiser, puis l’envoya aider leurs mères à rassembler les plus faibles pour les aider à fuir. Le jeune homme rejoignit son père en courant :
« Que devons-nous faire ?
— Tu vas emmener les femmes dans le souterrain et les protéger.
— Non, je veux me battre avec vous !
— Tu sais bien qu’elles ne pourront pas se défendre seules. Vas-y et ne discute pas, c’est un ordre ! »
Lycos se détourna à regret et rejoignit le petit groupe qui se constituait près d’une fenêtre à l’opposé de l’entrée, pour fuir par le passage secret qui partait de la salle. Au même moment, la porte vola en éclats, projetant au sol les serviteurs qui essayaient de la retenir, et l’enfer se déchaîna. Une vingtaine de soldats vêtus d’armures rouges et noires dégoulinantes de sang, leur épée rougie à la main, surgirent en hurlant et taillèrent en pièces tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin. Les gardes attaquèrent aussitôt, mais leurs armes semblaient rebondir sur l’acier, sans parvenir à l’entamer. Très vite, le combat se révéla inégal et tourna au massacre pour les défenseurs du château. Leurs assaillants s’éparpillèrent dans la salle, livrant passage à deux des leurs. Le premier, de haute taille, portait une armure travaillée au plastron orné d’un dragon menaçant à la gueule grande ouverte, et un heaume surmonté d’une longue queue de loup teintée de sang qui retombait dans son dos. Il tenait à la main droite une épée de taille impressionnante, dont la garde reproduisait le motif de son plastron. L’armure de l’homme qui le suivait était moins décorée, mais dénotait tout de même un rang plus élevé que simple soldat. Un frisson glacé s’empara de tous les convives quand ils comprirent qu’il s’agissait de Ranxor lui-même, le maître des Saigneurs des Ténèbres, et d’un de ses lieutenants. Arondas ne s’y trompa pas : il se précipita aussitôt vers lui pour l’affronter, tandis qu’Aros se lançait dans un combat avec le second homme. Le Commandeur frappa Ranxor en cherchant à atteindre son cou. Ce dernier para aussitôt l’attaque de sa lame trempée de sang, en bloquant l’arme, et laissa éclater un rire mauvais qui résonna de façon métallique derrière la visière abaissée :
« Pauvre fou, espères-tu vraiment pouvoir me vaincre ? Ne sais-tu pas que Vulcor et Aguerra m’ont rendu invincible, ainsi que tous mes soldats ?
— Balivernes, tu n’es qu’un homme et tes dieux démoniaques ne peuvent rien contre la puissance des nôtres !
— Tes dieux seront bientôt réduits en poussière, tout comme ce château et ses habitants d’ici un instant ! »
Dégageant son épée d’un geste si rapide qu’Arondas en perdit l’équilibre, Ranxor en enfonça la lame dans son ventre, le transperçant de part en part. Le Commandeur poussa un cri étranglé ; il aperçut Aros tomber à terre, mortellement touché par son ennemi. Sous la douleur, Arondas lâcha son arme. Ranxor la rattrapa de la main gauche avant qu’elle ne touche le sol et la planta dans la poitrine de son adversaire, lui arrachant un nouveau râle. Il retira en même temps les deux lames et le sang se mit à couler à flots, giclant sur son armure qui sembla s’en gorger. Alors que le Commandeur tombait à genoux et essayait d’arrêter l’hémorragie en pressant ses blessures de façon convulsive, son adversaire croisa les deux épées sur sa gorge et, d’un coup puissant, le décapita net. Le combat était terminé, la croisade d’Arondas de Seliny achevée avant même d’avoir commencé.
Lycos avait assisté impuissant au duel qui s’était déroulé trop rapidement pour qu’il puisse intervenir. Fou de rage, il ordonna à sa mère de fuir, avant de se lancer dans la bataille, droit sur Ranxor. Aveuglé par sa colère, il ne remarqua pas que l’adversaire d’Aros s’interposait. La lame de son épée fusa devant lui et la tête du jeune homme gicla, tranchée net. Emportée par la violence du coup, elle tomba au sol, vers le groupe des femmes, aux pieds de Laurana qui ne put retenir un hurlement d’horreur à cette vision. Son cri attira aussitôt l’attention des Saigneurs des Ténèbres sur elles, car elles n’avaient pas encore atteint l’entrée du passage qui leur aurait permis de fuir, figées par la peur quand leurs ennemis avaient envahi la pièce. Toute retraite leur était désormais impossible et elles n’étaient pas de taille à se défendre contre ces monstres. Ranxor fut sur elles le premier : il enfonça sa lame dans la poitrine de Laurana, qui était la plus proche. Son lieutenant se précipita sur l’épouse d’Arondas et la saisit par la chevelure sans ménagement ; de son autre main, il utilisa son épée pour l’égorger. Le sang jaillit de l’entaille et se répandit sur sa robe blanche, l’imprégnant d’écarlate en quelques secondes. Elle tomba à genoux et, lorsqu’il lâcha ses cheveux, elle s’effondra à terre, agonisant dans la mare de sang qui s’étalait sous elle.
Autour d’eux, les Saigneurs des Ténèbres massacraient sans pitié tous ceux qui essayaient de leur échapper. Ils soulevaient les nappes pour débusquer les serviteurs dissimulés sous les tables et les tiraient sans ménagement pour leur faire partager le sort de leurs maîtres. Des convives tentèrent de se cacher derrière les tapisseries pendues au mur, mais leur présence était visible et les soldats les transpercèrent de leurs épées au travers du tissu qui se teinta de leur sang. Partout dans la salle, mais aussi dans les couloirs et dans la cour, les râles d’agonie des occupants du château se mêlaient aux cris bestiaux des Saigneurs des Ténèbres qui décimaient systématiquement tous ceux qu’ils trouvaient. Ils les traquaient sans pitié, parcourant toutes les pièces pour en déloger les derniers survivants. Certains soldats bloquaient les issues pour empêcher toute fuite. Les ordres de leur maître avaient été clairs : nul ne devait en réchapper, tous devaient mourir pour en faire un exemple et décourager à jamais toute velléité de résistance.
Peu à peu, la rumeur diminua et le silence retomba sur les lieux. Partout régnait le même spectacle de mort et de désolation, les cadavres démantelés, mutilés, baignant dans des mares de sang.
Dans la grande salle, Ranxor se tourna vers l’homme qui ne l’avait pas quitté de toute l’attaque :
« Alors Romaric, est-ce qu’ils sont bien tous morts ? »
Ce dernier releva la visière de son heaume et interrogea quelques soldats qui venaient d’arriver. Il confirma à son chef avec un sourire satisfait :
« Oui, tous jusqu’au dernier, personne n’y a échappé, comme tu l’avais ordonné ! »
Ranxor brandit les deux épées en l’air et proclama d’une voix forte :
« Voilà le sort qui attend tous ceux qui oseront se dresser contre nous ! La mort et la destruction totale ! »
Il baissa brusquement sa main gauche dans un geste plein de hargne et la lame de l’épée d’Arondas se brisa net sur le sol de pierre. Il rengaina la sienne, se pencha et ramassa les têtes du Commandeur et de son fils pour les lancer à un soldat en ordonnant :
« Va les planter sur des piques au bord de la route, je veux que tout le monde les voit ! »
Il continua par d’autres instructions à l’attention de ses hommes :
« Pillez cet endroit, emportez tout ce que vous pourrez, et prenez aussi les chariots et les chevaux ! Ensuite, brûlez tout ! »
Les soldats présents dans la salle se jetèrent sur les cadavres pour les dépouiller de leurs bijoux et de leurs bourses, avant de sortir les bras chargés de leur butin. Dans les couloirs, ils entraient et sortaient des chambres, emportant des coffres de vêtements, des armes et des provisions volées dans les réserves. Ils en chargèrent les chariots et commencèrent à les sortir de la cour, pendant que d’autres hommes déposaient des sacs de poudre au pied des murailles et dans le château.
Ranxor était resté en retrait, seul avec Romaric dans la salle du banquet. Il saisit une torche enflammée fichée dans un des supports du mur et s’approcha des tables. À cet instant, une jeune femme aux longs cheveux noirs entra dans la pièce : elle était couverte de sang de la tête aux pieds, comme si elle s’était roulée au milieu des corps, et tenait à la main un long couteau dont elle semblait s’être servie abondamment. Ranxor se tourna vers elle :
« Alors Venin, Aguerra est satisfaite ?
— Oui, elle a reçu de nombreux tributs. Vulcor attend les siens maintenant !
— Il va les avoir, nous allons tout brûler, je vais m’en charger moi-même ! »
Il commença par enflammer les nappes, puis les tapisseries, avant de s’approcher des cadavres pour les immoler à leur tour. Il sortit de la pièce avec Romaric et Venin qui s’étaient eux aussi saisis de torches et embrasaient tout, notamment les mèches des sacs de poudre, avant de fuir.
Des explosions commencèrent à secouer les murs tandis que les Saigneurs des Ténèbres quittaient l’endroit avec leur butin. Alors que la colonne s’éloignait, les murailles s’effondraient peu à peu, sapées, ensevelissant sous leurs pierres les corps des victimes du massacre.
Quand l’incendie qui ravageait les lieux se calma de lui-même, de longues heures plus tard, le fier château n’était plus qu’un tas de ruines fumantes. Un peu plus loin, sur la route qui y menait, deux têtes ensanglantées étaient plantées sur des lances fichées dans le sol, comme un avertissement muet. Des nuées de corbeaux se mirent à tournoyer dans le ciel, attendant que la température baisse pour pouvoir se délecter des cadavres calcinés.
Des villages environnants, des hommes terrorisés vinrent constater l’étendue du désastre, et la nouvelle de la destruction se propagea à toute allure dans la province, avant de gagner les provinces voisines. Tous ceux qui avaient envisagé de se joindre à la croisade du Commandeur y renoncèrent aussitôt : les Saigneurs des Ténèbres n’étaient plus humains, personne ne pourrait les vaincre, hormis les trois êtres d’exception de la Septième Prophétie, que les gens surnommaient déjà les Sauveurs. Il ne restait plus qu’à prier pour que cette dernière s’accomplisse au plus vite.


Pour découvrir la suite, retrouvez le roman sur Amazon :  


Et comme je vous l'annonçais il y a quelques jours, le tome 2 "Ranxor" est sorti ce matin, vous pouvez le retrouver également sur Amazon :  


Bonne lecture !

mercredi 15 octobre 2014

La Septième Prophétie - Tome 2 - Ranxor : quatrième de couverture

Bonsoir à tous,

Le travail continue sur le tome 2, les dernières relectures pour la mise en forme et les corrections orthographe - grammaire sont en cours, ainsi que les derniers ajustements suite aux retours de mes bêta-lectrices.

Pas de date de publication définie encore, d'ici là, je vous propose de découvrir le quatrième de couverture :

 
L'Égale, Orlanne, Aldébaran et leurs compagnons sont parvenus aux portes du Désert de Feu, où se dresse la cité des Saigneurs des Ténèbres. Alors qu'ils s'attendaient à la trouver en construction, ils découvrent une forteresse imprenable, entourée de hautes murailles, au cœur d'une forêt.
Rapidement capturés, les jeunes gens se retrouvent enfermés dans la ville.
Séparée de ses amis, L'Égale doit faire face à Ranxor, piégée au centre d'une toile d'araignée mortelle où le danger est partout.
Arelle se retrouve isolée, loin du soutien de ses compagnons, sous la garde de Gwenda, la guérisseuse de la cité. Des rêves étranges viennent hanter la jeune fille qui se demande pourquoi la Grande Prêtresse de la Déesse Lune l'a confiée à l'Égale.
Orlanne, Aldébaran, Cyrius et Edern, torturés, puis réduits en esclavage, retrouvent Aldric sur le chantier, où ils subissent les brimades de leurs ennemis. Face à la violence de ces derniers et à la résignation des prisonniers, qui attendent la réalisation de la Septième Prophétie, la possibilité d'une révolte semble de plus en plus improbable et leur situation paraît désespérée.
Pourtant, dans les deux camps, la grogne monte, les jeux de pouvoir, dans l'ombre, se mettent en place et l'affrontement devient peu à peu inéluctable.
Qui, des Saigneurs des Ténèbres ou de leurs prisonniers, l'emportera ?


Prochainement, je participerai à l'opération lancée par "L'invasion des Grenouilles" : "les auteurs de SFFFH ont du talent" 
Plus d'informations ici : 
https://www.facebook.com/events/552046871589306/

Vous pourrez découvrir, ici, dès le 1er novembre, le premier chapitre du tome 1 de la Septième Prophétie - Trois êtres d'exception.

A bientôt.
 

lundi 6 octobre 2014

La Septième Prophétie - Tome 2 - Ranxor

Bonsoir,

Quelques nouvelles d'une revenante, j'ai été très occupée par l'écriture et les corrections du tome 2 de la Septième Prophétie ces derniers mois, mais je touche au but.

La dernière grande réécriture a pris fin hier, il ne me reste plus qu'à laisser reposer un peu (comme une bonne pâte à gâteau) et à reprendre le texte dans quelques jours pour la mise en page et les corrections orthographiques, et les derniers arrangements, et j'espère pouvoir le publier fin octobre.

D'ici là, pour vous faire patienter, un petit extrait d'un de mes passages préférés :

Le visage de Venin grimaça de mépris à ce nom :
« Cette misérable petite larve… Il faut nous en débarrasser aussi ! »
Romaric secoua la tête en se retenant de la gifler, exaspéré par un tel entêtement :
« Arrête de vouloir tuer tout le monde et réfléchis un peu ! Depuis hier matin, Ranxor sait que tu veux la mort de l’Égale : si quelque chose lui arrive, à elle ou à ses compagnons, il en déduira que c’est toi et te punira. »

Et pour conclure, en avant-première, la couverture du tome 2, réalisée comme la première par Martine Fa (merci à elle pour ce travail magnifique) 

 

mercredi 28 mai 2014

Comment puiser l'inspiration dans la vie réelle ?



Bonsoir à tous,

Ce soir, à quelques jours de partir en vacances dans mes endroits préférés (et d’en profiter pour avancer les corrections du tome 2 de la Septième Prophétie), je vous propose un article sur ma façon de fonctionner pour trouver un peu d’inspiration.

Non, le titre de cet article ne veut pas dire que je vous encourage à écrire votre autobiographie (quoi que si vous en avez envie, ne vous gênez pas !), je veux simplement partager aujourd’hui avec vous quelques unes de mes méthodes pour trouver l’inspiration et enrichir vos textes.

Tout ou presque peut être source d’inspiration, quel que soit le genre de votre texte. Bien sûr, un trajet en métro aura du mal à être inséré dans un récit de fantasy, mais une randonnée en forêt ou en montagne, oui. C’est une bonne source car vous aurez pu observer le paysage, prendre quelques photos qui serviront ensuite à étayer vos descriptions, et surtout vous l’aurez vécu, ce qui vous permettra de rendre vraiment les ressentis de vos personnages et donc de leur donner un côté plus vivant et réaliste.

Un premier exemple (je vais fonctionner ainsi pour illustrer cet article), une « petite randonnée » à la Mer de Glace que j’avais faite il y a une quinzaine d’années : trois heures de marche, 900 mètres de dénivelé et, à partir de la moitié de la randonnée, le brouillard et la pluie qui nous ont accompagnés, ainsi qu’un paysage parfois chaotique, assez impressionnant. J’en ai vraiment bavé pendant tout le chemin et, du coup, j’ai décidé de partager ça avec quelques uns de mes personnages. C’est ainsi que dans « la Septième Prophétie », ils se retrouvent à vivre plus ou moins la même, et ils souffrent presque autant que moi :

« Ils s’engagèrent sur un chemin de traverse qui s’enfonçait dans la forêt […] Les arbres s’élevaient haut au-dessus de leurs têtes ; de chaque côté poussaient à foison fougères, mousses et plantes inconnues. Très vite cependant, le relief changea, s’élevant en pente raide vers les sommets. De nombreux cailloux encombraient le chemin tandis que la végétation se clairsemait par endroits, pour redevenir plus dense quelques mètres plus loin. Le sentier rétrécissait et ne fut bientôt plus qu’une sente étroite où ils avançaient l’un derrière l’autre. La pluie tombait toujours drue, transperçant leurs vêtements en les trempant jusqu’aux os et en glaçant leur peau. Malgré leurs efforts, ils n’arrivaient pas à se réchauffer. Le sol se transformait en boue, les ralentissant en rendant leur marche plus difficile. […]
Ils venaient à peine de repartir qu’ils rencontrèrent de nouvelles difficultés. La pente, très raide, était parsemée de larges roches espacées qui obligeaient les jeunes gens à faire des grandes enjambées pour les franchir. Entre les pierres, les espaces étaient traîtres : leurs pieds s’enfonçaient dans la boue ou dérapaient sur l’herbe mouillée. […]
Ses vêtements ruisselaient de pluie et de sueur mélangées, ses cheveux trempés collaient autour de son visage et elle sentait le froid mordant menacer d’engourdir ses membres. Elle se remit en marche, pensant que plus vite ils arriveraient au col, plus vite ils pourraient se mettre à l’abri. »

Pas besoin d’en avoir forcément bavé pour utiliser ce type de sources (heureusement !), ça peut aussi être une balade agréable en forêt qui permet de décrire le paysage environnant ou une promenade en bateau pour avoir un autre point de vue sur un endroit.

Pratiquer certains sports, même épisodiquement, peut aider aussi, que ce soient des sports de combat pour connaître un peu le vocabulaire, les postures, ou de l’équitation pour appréhender un peu mieux les sensations des différentes allures à cheval.

Parfois, les événements peuvent ne pas servir immédiatement, mais quand quelque chose les fait remonter à la surface, ça peut devenir une source d’inspiration.
J'ai écrit une nouvelle pour un concours, où la vue des photos d'un pont au bord d’un canal et de la pleine lune m’ont rappelé une croisière faite il y a une vingtaine d’années, et je m’en suis servie comme point de départ, en mêlant du réel (j’avais réellement écouté la bande originale du Dracula de Coppola au bord de l’eau, le soir, en regardant la pleine lune) et en y rajoutant des éléments de fiction.

Une autre façon de trouver de l’inspiration, c’est ce que j’appelle « l’écriture sur site » : quand un endroit m’inspire tellement que je n’ai qu’une envie, m’installer dans un coin, sortir un carnet et écrire en utilisant ce que je vois comme décor.

C’est à Rhodes que j’ai éprouvé plusieurs fois cette sensation l’année dernière, notamment sur le site de Filerimos, qui m’a directement inspiré le décor d’un de mes temples ; voici les photos de l’endroit, et le résultat dans mon roman :






 « De chaque côté de la grande porte d’entrée, deux tours carrées portant le blason de la Déesse se dressaient. Au sommet, des arcades ouvertes, surmontées d’un dôme de tuiles rouges,  permettaient de guetter les alentours. […]
Tout autour de la place, les bâtiments à un étage étaient édifiés sur le même plan. Au rez-de-chaussée, des arcades étaient surmontées d’un auvent de tuiles rouges : elles donnaient sur le couloir d’accès aux différents édifices. À l’étage, un peu en retrait, se trouvait une seconde série d’arcades qui menaient à d’autres pièces. […]
Enfin, près de l’accès à la partie interdite, se dressait un bâtiment plus imposant, de forme rectangulaire, avec deux arcades au rez-de-chaussée. Un escalier extérieur menait à un palier couvert. Quelques fenêtres entourées de frises sculptées et ornées de vitraux blancs et argent perçaient ses murs. Sur l’auvent, une structure crénelée abritait une cloche entourée d’oriflammes aux couleurs de la Déesse, blanc et argent. […]
Curieuse, elle y dirigea ses pas et franchit une grille ouvragée qui était ouverte : elle découvrit un cloître adossé à la muraille. Au centre de l’espace pavé de galets qui formaient une mosaïque, une petite fontaine permettait de se rafraîchir. Dans les quatre angles de la cour, des arbustes aux fleurs violettes grimpaient de gros pots de terre cuite et enlaçaient les piliers de leurs branches. Des bancs disposés le long des murets invitaient les visiteurs à profiter du calme. »

Un des bâtiments de la vieille ville de Rhodes, l’Hospice Sainte Catherine, m’a directement inspirée pour l’intérieur de la maison d’Orlanne, une de mes héroïnes, et les remparts et les fossés de la ville m’ont aussi incitée à modifier complètement l’architecture d’un des lieux où se déroule une bonne partie de l’histoire.

Et bien sûr, quand vous avez besoin d’approfondir un sujet que vous aurez découvert ou abordé, il reste toujours la lecture de livres spécialisés ou les recherches sur Internet pour compléter vos recherches.

Maintenant, vous n’avez plus qu’à chercher autour de vous vos sujets d’inspiration et à vous laisser porter.

Bonne écriture !

mardi 25 mars 2014

série "Les Protecteurs" : "Philippus"

Bonsoir à tous,

Je n'ai pas abandonné "la Septième Prophétie", le tome 2 progresse lentement mais sûrement, je travaille dessus tous les jours.

Ce soir, j'ai envie de vous faire découvrir un texte écrit pour le dernier concours de mon forum, qui m'a permis d'explorer un nouvel univers dans le domaine du fantastique, mettant en scène des personnages appelés "les Protecteurs" et qui mélangera les époques, de l'Antiquité Romaine à nos jours.
Dans cette nouvelle, "Philippus", vous découvrirez le premier d'entre eux,et son histoire.

Bonne lecture !


PHILIPPUS

La nuit était tombée sur Rome et, à cette heure avancée, seule la pleine lune éclairait les rues de la ville.
Dans sa chambre, le centurion Philippus dormait profondément avec Tullia, son épouse. Soudain, un vagissement aigu le tira du sommeil. Encore mal réveillé, il réalisa que sa fille Octavia pleurait, sans doute après avoir fait un cauchemar. Tullia se leva et il ne bougea pas, laissant sa femme consoler leur enfant. Philippus allait retomber dans les limbes du sommeil quand un cri perçant, poussé cette fois par Tullia, le fit brusquement sursauter. Réagissant aussitôt, il bondit hors du lit et saisit son glaive, avant de courir vers la chambre d’Octavia.
Lorsqu’il pénétra dans la pièce, il se figea en poussant un cri d’horreur : une femme de haute taille tenait son épouse contre elle, sa bouche enfoncée dans son cou. Au sol, Octavia gisait telle une poupée désarticulée, au milieu d’une flaque de sang. Glacé, le centurion réalisa que les légendes qui, pour lui, n’étaient que des contes, s’avéraient réelles et qu’une stryge attaquait sa famille. Sortant de son immobilité, Philippus leva son glaive et s’approcha de la créature :
« Lâche-la ! »
La bête releva la tête pour le fixer et un rictus cruel étira sa bouche tandis qu’elle passait lentement sa langue sur ses lèvres écarlates.
Le centurion se jeta sur elle au moment où elle laissait tomber Tullia. D’un geste souple, la stryge évita le coup qu’il lui porta de son arme et le frappa du revers de son bras, le jetant à terre avec une force surprenante. Philippus lâcha son glaive qui glissa au sol, hors de sa portée. La créature le fixa de ses yeux glacés et éclata de rire, avant de se tourner vers le balcon et d’y marcher tranquillement. L’officier tenta de se relever pour reprendre le combat, mais n’y parvenait pas, cloué par une force surnaturelle. Il ne put qu’observer la stryge, gravant ses traits dans sa mémoire, pour la retrouver.
La bête se percha sur la rambarde et lui lança un dernier regard, comme pour le narguer, avant d’ouvrir de larges ailes, comme celles d’une chauve-souris, et de se jeter au-dessus des maisons de la ville.
Aussitôt, le centurion retrouva sa liberté de mouvement et se précipita vers Tullia qui gisait à terre, face contre le sol. Il la retourna et poussa un gémissement en découvrant sa gorge déchiquetée, qui laissait couler un filet de sang. Ses yeux vitreux le fixaient sans le voir, elle avait déjà rejoint le royaume de Pluton. Tout en serrant son corps contre lui, Philippus se mit à sangloter sans pouvoir se retenir. Ses yeux pleins de larmes se posèrent sur Octavia et il sut aussitôt que, comme sa mère, toute vie avait quitté ce petit corps.
Au moment où résonnaient les pas des serviteurs attirés par les cris et les bruits du bref combat, le centurion se mit à hurler sans pouvoir s’arrêter, fou de douleur.

Philippus errait dans sa demeure, accablé par la perte brutale de Tullia et d’Octavia. La nuit précédente, leurs funérailles avaient eu lieu et, désormais, il était seul. Dans un état second, il avait assisté aux rituels, sans réaction face aux flammes qui dévoraient les deux corps. La stryge lui avait arraché sa seule famille, les deux êtres qui lui importaient le plus.
Le centurion venait d’apprendre que, dans quelques jours, sa légion rejoindrait la Gaule pour une nouvelle campagne ; il se noierait dans les combats pour oublier le malheur qui l’avait frappé. Tullia était dans la fleur de l’âge et Octavia n’avait qu’un an, ce n’était encore qu’une enfant innocente, elles ne méritaient pas cela.
Au fond de lui, aussi forte que la douleur, une froide résolution grandissait, celle de venger sa femme et sa fille chéries en retrouvant la stryge et en la tuant, pour qu’elle ne fasse plus jamais de mal. Pour l’aider, il avait fait appel à un réseau d’espions très particulier, celui de Marcus et de ses compagnons d’infortune. L’homme, un ancien légionnaire que la vie n’avait pas épargné, mendiait dans les rues de Rome, ce qui lui permettait de glaner discrètement de précieuses informations. Philippus, qui s’était lié d’amitié avec lui, l’avait lancé sur les traces du monstre, persuadé que le carnage ne s’arrêterait pas là. Le jeune homme était résolu, dès qu’ils l’auraient localisée, à aller tuer la stryge. Il risquait d’y laisser la vie, mais n’en avait cure : il avait déjà perdu tout ce à quoi il tenait, plus rien ne pouvait l’affecter à présent.

Marcus se présenta le lendemain matin, annonçant au centurion qu’une créature correspondant à sa description avait été aperçue la nuit précédente dans un des quartiers les plus misérables de Rome. Le mendiant lui proposa de l’y conduire à la tombée de la nuit, car la stryge allait sûrement y revenir, n’ayant attaqué personne lors de sa venue. Philippus accepta et lui ordonna de revenir le chercher au crépuscule, après lui avoir donné un aureus d’or pour le récompenser.
Une fois seul, le jeune homme se prépara pour son expédition nocturne, vérifiant son armement et ses protections. Gracchus, son fidèle serviteur, s’inquiéta de son projet et tenta de le convaincre d’y renoncer. Peu disposé à l’écouter, Philippus le rabroua et lui ordonna de le laisser seul, pour prier. Après son départ, le centurion gagna l’autel des Dieux Lares et s’agenouilla devant lui, leur demandant de l’aider à vaincre la stryge, pour qu’elle ne fasse plus de victimes.
Alors qu’il était abimé dans ses suppliques, un étrange phénomène se produisit en lui, comme une sorte d’énergie qui naissait dans son cœur et se propageait dans le reste de son corps. Interloqué car il n’avait jamais rien ressenti de tel, Philippus se demanda ce que cela signifiait, espérant qu’il ne s’agissait pas là d’un mauvais présage pour l’affrontement à venir.

À la nuit tombée, le centurion suivit Marcus dans les méandres de la ville. Philippus s’était équipé de son glaive et d’une dague, et sa cuirasse, ornée d’une silhouette de loup, couvrait sa poitrine. Le jeune homme avait dissimulé le tout sous une cape noire dont il avait rabattu le capuchon sur sa tête, pour ne pas attirer l’attention. Il se glissait dans l’ombre des maisons, se collant aux murs en suivant son guide.
Bientôt, ils parvinrent à une petite place entourée de maisons délabrées, à l’aspect misérable. Marcus l’entraîna sous un porche et lui souffla, en désignant la bâtisse en face d’eux :
« C’est là que la bête est venue la nuit dernière, elle rôdait autour du balcon. »
Philippus savait que les stryges avaient la réputation de s’en prendre aux bébés qu’elles vidaient de leur sang, mais aussi aux femmes, comme il l’avait appris à ses dépens. Il interrogea le mendiant :
« Il y a des enfants dans cette maison ?
— Oui, deux bébés nés il y a quelques jours. Leur mère a failli mourir en les mettant au monde, elle est encore faible.
— Trois proies faciles, donc… »
Une sombre colère étouffa Philippus, surmontant le chagrin qui lui broyait le cœur. Il se promit que le monstre ne détruirait pas cette famille comme il avait détruit la sienne.
Un brusque mouvement le fit sursauter : dans un bruissement léger, la stryge apparut dans le ciel et se posa sur la rambarde du balcon. Ses ailes se replièrent dans son dos tandis qu’elle disparaissait dans l’obscurité de la pièce.
Aussitôt, le centurion se précipita vers la maison en dégainant son glaive, décidé à empêcher le pire. Marcus avait prévenu ses habitants qui n’avaient pas verrouillé la porte et, pour se protéger, s’étaient regroupés dans une seule pièce. Des cris de peur résonnèrent à l’intérieur et Philippus se lança dans les escaliers pour arriver avant que la créature n’ait commencé sa tâche. De nouveau, la sensation étrange de l’après-midi se reproduisit, cette énergie qui semblait naître en lui et s’étendre à tout son corps, mais il ne s’en soucia pas, concentré sur son but.
Il déboucha dans une chambre où une femme, très pâle, allongée dans un lit, serrait contre elle deux nouveaux nés qui pleuraient. Un homme, sans doute son mari, se tenait face à la stryge qui s’approchait lentement de ses proies, un rictus cruel aux lèvres ; il n’avait qu’un bâton pour se défendre, arme dérisoire qui ne suffirait pas contre elle.
L’intrusion du centurion attira l’attention de la stryge qui tourna la tête et plissa les yeux en le voyant ; il lui cria :
« Me reconnais-tu, créature des Enfers ? Je suis venu pour te tuer, pour venger ma femme et ma fille ! »
La bête poussa un cri moqueur et tendit la main vers lui : comme la fois précédente, Philippus sentit une force le clouer sur place, l’empêchant de bouger. Il commença à lutter pour s’en défaire et, soudain, réalisa que l’étrange énergie qui l’avait envahi l’y aidait, le libérant peu à peu des liens magiques.
La stryge avait reporté son attention sur ses futures victimes, persuadée d’être débarrassée du centurion. Elle tendit le bras et cassa net le bâton, puis enfonça ses ongles, devenus des griffes, dans le ventre de l’homme, le déchirant sans pitié.
À cet instant, Philippus retrouva sa liberté de mouvement. Sans attendre, il se rua sur la stryge et abattit son arme sur le bras de la créature, le coupant net. Celle-ci poussa un cri strident tandis que le sang giclait de son membre coupé et se tourna vers son agresseur.
Marcus, qui avait suivi le centurion, tira le blessé à l’écart, près du lit, pour tenter de le soigner, tout en laissant le champ libre à son compagnon.
Malgré sa blessure, la stryge avait gardé sa force ; elle frappa Philippus de son bras valide, l’envoyant contre le mur. Il le heurta rudement et glissa à terre, étourdi. La créature fondit aussitôt sur lui, ses ailes déployées. Le centurion leva son glaive et la bête s’empala sur la lame. Réagissant rapidement, Philippus sortit sa dague et l’utilisa pour infliger une large plaie au cou de la stryge, avant de la repousser d’un coup de pied. La créature roula au sol, tandis que ses ailes se cassaient sous elle. Le centurion se releva à toute vitesse et, brandissant son glaive, décapita la stryge d’un geste net. La tête roula contre le mur et ses yeux devinrent vitreux.
Essoufflé, Philippus contempla son adversaire enfin vaincu, avant d’entendre un râle derrière lui ; il se retourna et découvrit Marcus qui essayait d’arrêter le flot de sang qui coulait de la blessure béante de l’homme. Le centurion se précipita vers eux et vit le mendiant secouer la tête en silence, annonçant que tout effort était vain et que le blessé allait mourir. Au fond de lui, une petite voix ordonna à Philippus d’empêcher cela et, sans vraiment savoir ce qu’il faisait, il écarta la main de Marcus pour poser la sienne à sa place, sur la plaie. L’énergie sembla se concentrer dans sa paume, devenant une chaleur bienfaisante, et Philippus hoqueta en sentant celle-ci se transmettre à l’homme. Sous ses doigts, la peau se refermait et le sang cessait de couler, ne laissant que la marque des griffes, comme une cicatrice.
Marcus ouvrit de grands yeux et balbutia, incrédule :
« Par Jupiter, qu’est-ce que vous avez fait ? »
Tremblant malgré lui, le centurion leva sa main et observa sa paume ensanglantée : il ne comprenait pas ce qui s’était passé, d’où venait cette puissance qui l’avait empêché de succomber aux sortilèges de la bête, puis lui avait permis de sauver cet homme. Une seule chose était sûre, ce miracle s’était produit, et l’avenir lui dirait sans doute ce que cela signifiait. Pour l’heure, seule importait sa réussite : il avait vaincu la stryge, et elle ne ferait plus jamais de victimes, une fois qu’on aurait brûlé son corps et dispersé ses cendres aux quatre vents. Tullia et Octavia étaient vengées.



samedi 25 janvier 2014

"La nuit, dans les landes..."

Un peu de lecture aujourd'hui, une nouvelle écrite pour le dernier concours de mon forum d'écriture, dont le sujet était de compléter les quatre premières phrases, avec un texte dont la contrainte était de faire peur.
Et cerise sur le gâteau, je me suis amusée à faire une fan-fiction d'une de mes séries préférées, "Docteur Who"

Bonne lecture !



La nuit, dans les landes...



Je jetai un œil furtif à l'arrière de la voiture et contemplai, horrifiée, ce qui s'y trouvait. Le conducteur avait le regard fixé devant lui, les yeux plongés dans la nuit noire et profonde, tandis que la route défilait. Je déglutis. Je savais ce qu'il me restait à faire. Ou plutôt non, je ne le savais pas, et tout en essayant de calmer les battements affolés de mon cœur, je me rappelai comment je m’étais fourrée dans un tel pétrin…
Mais qu’est-ce qui m’avait pris ? J’aurais dû savoir que c’était une mauvaise idée, à l’instant même où le Tardis s’était matérialisé devant moi et que le Docteur en avait jailli pour me proposer de faire un tour avec lui. J’avais pourtant suffisamment vu et revu les épisodes de ses différentes aventures pour savoir que tout voyage avec lui tournait invariablement à la catastrophe à un moment ou à un autre. Malheureusement, j’avais quand même accepté et notre saut dans le temps n’avait pas fait exception à la règle : au lieu de visiter l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, voilà que nous nous étions retrouvés dans une lande déserte, perdue loin de tout, sans doute à la fin du XIXème siècle. Pour couronner le tout, après le départ inopiné du Tardis, nous laissant plantés là, le Docteur et moi avions été séparés en essayant de chercher de l’aide. Au moins, je portais une tenue qui correspondait à peu près à l’époque, une robe à tournure de coton bordeaux, ainsi que des bottines de cuir à talons pas très adaptées à des chemins de campagne.
Alors que la nuit allait tomber, j’avais commencé à désespérer car je ne voyais pas âme qui vive à l’horizon, ni même l’ombre d’une masure. Lorsqu’un grincement avait fini par déchirer le silence, je m’étais retournée et j’avais éprouvé un profond soulagement en apercevant une calèche noire qui arrivait dans ma direction. Sans plus réfléchir, je m’étais postée au milieu de la route et j’avais fait de grands signes au cocher pour l’arrêter, le suppliant de m’emmener à l’abri. Il m’avait brièvement détaillée et j’en avais fait de même : un instant, je fus tentée de m’enfuir devant son faciès de brute, un visage épais, à la bouche tordue remplie de chicots noirs et au menton couvert d’une barbe mal taillée. Avec son physique de colosse, l’homme évoquait un bandit de grand chemin. Cependant, j’étais tellement perdue et désespérée que sa compagnie m’avait semblé moins pire que de rester ici seule en pleine nuit, car j’entendais au loin hurler des loups, ou des chiens sauvages. J’avais donc accepté la main tendue par le cocher pour me hisser à côté de lui. J’avais à peine eu le temps de m’accrocher à mon siège que l’homme avait fait claquer son fouet pour lancer ses deux chevaux noirs à un train d’enfer. Tandis que je me crispais de toutes mes forces pour tenir – si je tombais, je me romprais le cou –, je frissonnais car le froid transperçait les fines manches de mon corsage. Une fois de plus, je maudis le Docteur qui ne m’avait même pas fourni une cape pour me réchauffer, une façon comme une autre d’essayer de penser à autre chose qu’à ma position peu reluisante…
Et maintenant, alors que la pleine lune s’était levée en perçant les ténèbres, tandis que cette carriole de l’enfer roulait à tombeau ouvert sur une route défoncée, j’avais jeté un coup d’œil à l’arrière de la voiture. J’étais restée sans voix en y découvrant plusieurs personnes apeurées, ligotées et bâillonnées, ainsi que le Docteur, attaché lui aussi et visiblement assommé : sans doute avait-il agacé le cocher avec ses bavardages incessants, d’où ce « traitement de faveur » jugé plus efficace qu’un bâillon pour le faire taire. Si, avant cette vision, je pouvais espérer que le Docteur allait venir à mon aide, maintenant je savais que j’allais devoir me débrouiller seule.
J’essayai de distinguer la route devant nous, me demandant où le mystérieux cocher nous conduisait : un défilé rocheux apparut devant nous, et bientôt la voiture s’engagea entre ses deux parois escarpées. L’homme ne ralentit pas un instant et le bruit des sabots résonnant sur la terre dure envahit le défilé, emplissant mes oreilles du vacarme. Je ne pus en boucher qu’une, mon autre main continuant à agripper convulsivement le siège pour ne pas tomber. Mon cœur battait la chamade tandis que j’essayais de surmonter la panique qui envahissait mon esprit pour analyser la situation. Le colosse avait enlevé des gens, ainsi que le Docteur : pourquoi ? Qu’allait-il faire de nous ? Je n’étais pas attachée, mais je me rendais compte que j’étais prisonnière comme les autres, et que le cocher comptait sur ma peur pour que je ne fasse rien. Il avait raison : j’étais terrorisée et si j’essayais de sauter en marche, je me fracasserais les os, vu la vitesse du véhicule. Mon instinct de survie me criait donc de rester là sans rien tenter et d’attendre la suite. Il me semblait que le Diable lui-même conduisait cet attelage pour me mener en Enfer, et j’avais du mal à calmer les battements affolés de mon cœur.
Bientôt, enfin, la charrette émergea du défilé et je distinguai au loin, devant nous, la silhouette d’un petit château à moitié en ruine. J’essayai de me raisonner, sans y parvenir : une sourde angoisse me tordait le ventre et même si je me répétais que ce n’était sans doute qu’un cauchemar, rien n’y faisait. Le froid qui me saisissait, les cahots de la route et la peur qui me paralysait ne me laissaient guère de doutes : je ne rêvais pas…
Enfin, la voiture s’arrêta dans la cour du château. J’aurais pu essayer de m’enfuir à ce moment-là, mais mes jambes ne me portaient plus : si je tentais de descendre, j’étais sûre de m’effondrer par terre tellement je tremblais.
Plusieurs hommes au physique aussi peu engageant que celui du cocher sortirent du bâtiment et s’avancèrent vers nous, sans doute pour décharger le véhicule de son chargement. L’un d’eux, mince et bien habillé, dénotait parmi les autres, et j’en déduisis qu’il devait être leur chef. Il me fixa sans aménité et demanda au conducteur d’une voix dure :
« Pourquoi celle-là n’est pas attachée ?
— J’l’ai ramassée sur la lande à la tombée d’la nuit, c’était pas utile d’la ligoter, j’roulais trop vite pour qu’elle fasse quoi qu’ce soit ! »
Un des nouveaux arrivants me saisit sans ménagement par le bras et me fit descendre de mon siège. Je trébuchai en touchant le sol, empêtrée dans la tournure de ma jupe, et sans sa main qui me tenait fermement, je me serais étalée au sol. Ses compagnons emmenaient les prisonniers bâillonnés à l’intérieur du château. Le plus costaud avait saisi le Docteur sous les bras et le traînait comme s’il s’agissait d’un vulgaire sac de pommes de terre. Je me retournai vers leur chef, lui demandant en tremblant :
« Qui êtes-vous ? Qu’allez-vous faire de nous ? »
L’homme me jeta un regard mauvais, avant qu’un rictus n’étire ses lèvres. Un frisson glacé me parcourut la colonne vertébrale : sur qui étais-je donc tombée ? Mais pourquoi n’étais-je pas restée tranquillement chez moi ? Sans daigner me répondre, il tourna les talons et rentra dans le bâtiment, tandis que son sbire me poussait rudement vers le hall d’entrée. L’intérieur du château était sombre, plein de poussière et de toiles d’araignées, seulement éclairé ici et là par quelques lampes à huile. Visiblement, l’électricité n’avait pas encore fait son apparition dans ce lieu. Je faillis pousser un hurlement en apercevant un rat traverser le hall en trottinant, surtout lorsqu’il s’arrêta quelques secondes pour me fixer de ses yeux sombres. Pendant qu’on m’entraînait vers un escalier qui menait au sous-sol, je remarquai que le mobilier était soit vermoulu, soit inexistant : de toute évidence, plus personne ne vivait ici depuis longtemps. Ce n’était sans doute qu’un lieu de passage pour nos ravisseurs, et pour nous aussi certainement, mais vers où ? Un autre endroit, ou droit vers le cimetière, une fois qu’ils nous auraient tués ?
Nous parvînmes à une crypte dans laquelle se dressaient plusieurs grandes cages de métal. Mes compagnons d’infortune se trouvaient dans l’une d’elles, et le Docteur, toujours inconscient, dans une autre. Pour quelqu’un qui se vantait de courir vite pour échapper à ses ennemis, sur ce coup-là, c’était raté…
Mon cerbère me poussa dans une cage vide après m’avoir lié les mains dans le dos. La corde était serrée et me brûlait les poignets, impossible de me libérer. Toujours tremblante, je m’assis comme je le pus au fond de ma geôle, dos aux barreaux, attendant la suite avec angoisse tout en essayant de calmer ma respiration.
Le chef passa lentement devant nos cages, semblant nous évaluer, et une fois de plus, je me demandai ce qui nous attendait. Il se retourna finalement vers le cocher en lui lançant d’un ton mécontent :
« La moisson n’est pas terrible cette fois ! »
L’homme haussa les épaules avant de se défendre :
« Les gens du cru s’méfient maint’nant, y a eu d’jà pas mal d’disparitions ! Faudrait p’t-être changer d’coin ! 
— Ce château est la cachette idéale, les habitants ont trop peur des légendes locales pour venir y fourrer leur nez. Pas question de l’abandonner ! »
Le colosse haussa de nouveau les épaules, répondant :
« Y a quand même cinq personnes qu’iront bien pour les mines, et la donzelle est pas mal, elle conviendra pour un bordel ! »
Il fallut quelques secondes à mon cerveau paniqué pour réaliser ce qu’il venait de dire : la donzelle, c’était moi, et ce qu’il envisageait pour moi… Non ! Je compris alors qu’ils se livraient au trafic d’êtres humains et que nous constituions la prochaine livraison. J’aurais dû résister, protester, mais la peur me paralysait. Le sort qui m’attendait me semblait pire que tout. Je jetai un coup d’œil suppliant au Docteur : il fallait qu’il nous tire de là, tous, d’un coup de tournevis sonique ou de n’importe quelle autre façon, et qu’il mette ces sinistres personnages hors d’état de nuire, ça ne pouvait pas se terminer comme ça !
Le chef sortit de sa poche une montre à gousset et la consulta, avant de lâcher :
« Ils vont bientôt arriver, remontons les attendre. »
Nos ravisseurs quittèrent la pièce en nous laissant seuls. Ils n’étaient pas inquiets, car ligotés et enfermés dans de solides cages de métal, nous n’avions aucune chance de nous échapper.
Dès que j’entendis la porte de la crypte se refermer, je me mis à chuchoter :
« Docteur, Docteur, réveillez-vous, je vous en supplie ! »
Tout en l’appelant, je touchai les barreaux de la cage derrière moi : c’étaient des carrés de métal aux arêtes tranchantes. J’essayai de faire glisser les cordes dessus pour me libérer, sans cesser de tenter de réveiller le Docteur. Je réprimai un cri quand mon poignet dérapa et que le métal érafla ma peau, la coupant net. Affolée, je sentis le sang couler et me demandai si je ne m’étais pas ouvert une veine. Au même moment, je perçus des couinements et, de plus en plus paniquée, pensai au rat qui traversait le hall. Je hoquetai : et si mon sang l’attirait et qu’il me mordait ? Et surtout, s’il n’était pas seul ? Allais-je me faire attaquer par un troupeau de rats affamés ?
Au bord des larmes, je m’activai aussi vite que je le pouvais, m’efforçant de ne pas me blesser plus. Malheureusement, les cordes refusaient de rompre, alors que le temps pressait. Ma situation devenait de plus en plus critique, et j’avais aggravé mon cas avec ma blessure.
Un bruit sur le côté me fit tourner la tête et le soulagement m’envahit en voyant le Docteur se réveiller enfin. Il regarda autour de lui, un peu hébété, puis se tourna vers moi :
« Où sommes-nous ? Que nous est-il arrivé ?
— Chut, parlez moins fort ! Nous avons été enlevés !
— Par qui ?
— Des hommes qui veulent nous vendre comme esclaves. Faites quelque chose, sortez-nous de là ! »
Il me fixa, un peu éberlué :
« Comment ?
— Je ne sais pas, c’est vous le Docteur, trouvez une idée géniale ! Tenez, utilisez votre tournevis par exemple ! »
La situation commençait à me faire perdre tout contrôle : malgré mes efforts, je ne parvenais pas à me libérer et la panique m’envahissait. Elle se mêlait à l’énervement face à l’impuissance du Docteur, qui me rendait folle. Si lui ne pouvait rien faire, qui nous aiderait ?
Je jetai un coup d’œil vers lui ; il me fixa et me demanda :
« Où sont nos ravisseurs ?
— Ils attendent leurs clients, pour nous vendre.
— Ils sont nombreux ?
— Six, dont cinq armoires à glace, nous n’en viendrons pas à bout seuls… Aïe !
— Qu’y a-t-il ? »
Je ne répondis pas tout de suite, submergée par la terreur : je me reculai avec horreur, après avoir senti une morsure sur ma main ensanglantée. Je me retournai en claquant des dents et découvris le rat famélique qui venait de s’en prendre à moi ; ses yeux fiévreux me fixaient et il était évident que je ne lui faisais pas peur du tout. Du mouvement dans l’ombre au fond de la pièce me glaça : cette bestiole répugnante ne représentait que l’avant-garde, plusieurs paires d’yeux luisants étaient dardés sur moi, n’attendant sans doute qu’un signe pour se jeter sur moi. Je m’étranglai :
« Docteur, pressez-vous, les rats vont m’attaquer… il y en a déjà un qui m’a mordue !
— Pourquoi ?
— Je me suis coupée la main, mon sang les attire !
— Oh ! »
Oh ?! Je lui disais que des rats assoiffés de sang risquaient de m’attaquer d’un instant à l’autre et tout ce qu’il trouvait à dire, c’est oh ?! Si je n’avais pas été dans un tel état de peur, de panique et proche de l’évanouissement – et ligotée et enfermée dans une cage aussi –, je l’aurais assommé avec le premier objet qui me tombait sous la main !
Je m’étais éloignée des parois de la cage, trop proche des rats à mon goût, mais du coup, je ne pouvais plus me libérer. L’espace entre les barreaux ne pouvait laisser passer un homme, en revanche ils étaient assez larges pour un rat, et je compris, terrifiée, que j’étais piégée, à la merci de ces monstres. Je tançai le Docteur :
« Nom de Dieu, c’est vous qui nous avez fourrés dans ce pétrin, sortez-nous de là !
— J’essaie, je réfléchis…
— Arrêtez de réfléchir et agissez ! Vous ne voyez pas que ces rats vont me bouffer ?! »
Je devenais hystérique. Comme s’ils avaient senti ma peur et qu’elle les attirait, les rongeurs trottinèrent en direction de ma cage.
Le Docteur tentait de se libérer de ses liens, sans grand succès ; il parut avoir une illumination :
« Mettez-vous debout !
— Quoi ?!
— Levez-vous, ils ne pourront plus atteindre votre main ! »
Je doutais que ça suffirait à les arrêter, mais tant bien que mal, je me remis sur mes jambes, empêtrée entre mes mains et ma jupe à tournure, privée de points d’appui. Je tremblais comme une feuille et j’avais du mal à tenir sans m’effondrer. Les rats avaient atteint ma cage et se tenaient près des barreaux. Ces sales bêtes devaient préparer leur attaque, pour trouver la meilleure façon de me boulotter. Ma main me faisait mal, entre la coupure qui saignait toujours et la morsure qui allait sans doute s’infecter. J’avais de plus en plus de mal à surmonter le tourbillon qui avait envahi mon esprit pour garder mon sang-froid. Je me mis à insulter le Docteur :
« Espèce d’incapable, vous allez faire quelque chose, oui ou non ? »
Non, ça ne pouvait pas se terminer comme ça, pas maintenant… Je pivotai sur moi-même en chancelant, de plus en plus affolée : d’autres rats avaient surgi de l’ombre et encadraient maintenant toute la cage. Si je criais, je les ferais peut-être fuir, mais en attirant nos ravisseurs. Mais si je me taisais, je me faisais dévorer dès que je m’effondrais au sol. Le choix fut vite fait : je me mis à hurler, laissant libre court à la panique que je retenais depuis trop longtemps. Le Docteur devait essayer de me faire taire, mais je ne l’entendais pas, hystérique, incapable d’arrêter le flot sonore qui coulait de ma bouche.
Des bruits précipités résonnèrent dans l’escalier et une clarté envahit la pièce. Nos ravisseurs arrivaient en courant, suivis de trois autres hommes, sans doute les commanditaires. Le chef demanda en criant, pour s’efforcer de couvrir mes hurlements :
« Que se passe-t-il ici ? »
Leur arrivée brutale avait effrayé les rats : ceux-ci battirent en retraite, s’éparpillant dans la pièce. Le cocher déverrouilla ma cage et, voyant que je ne me calmais pas, me donna deux gifles retentissantes pour me faire taire. Je m’effondrai au sol en silence, presque assommée, n’entendant plus qu’un brouhaha autour de moi. Les inconnus allaient sans doute nous emmener, mais je n’étais plus en mesure de résister. Quant à savoir quel serait le pire, entre être à leur merci ou me faire dévorer par des rats, mon cerveau n’était plus en mesure de répondre. Je sursautai à peine, incapable de réagir, quand des cris parvinrent soudain à mes oreilles :
« Police, que personne ne bouge ! »
Un désordre indescriptible envahit la pièce tandis que des policiers faisaient irruption et engageaient le combat avec nos ravisseurs. Heureusement pour nous, trop occupés à se défendre, ces derniers semblaient nous avoir oubliés, alors que nous aurions pu servir d’otages.
Enfin, au bout de quelques minutes, le vacarme se calma et je découvris, en soulevant avec difficulté mes paupières, encore sonnée, que la police avait maîtrisé tout le monde ; j’entendis, dans un bourdonnement, le commissaire s’adresser aux bandits :
« Cette fois-ci, après des semaines de recherche, nous vous trouvons enfin, c’en est fini de vos méfaits ! »
Malgré le soulagement qui m’envahit à ces mots, je n’arrivais pas à résister à l’engourdissement qui me submergeait. Je croisai le regard du Docteur et son sourire fut la dernière chose que je vis…

La première chose que je vis en ouvrant les paupières fut l’étagère sur laquelle s’alignaient les DVD de la série. Je clignai des yeux et regardai autour de moi, surprise : j’étais allongée sur mon canapé, dans mon appartement, et je venais de faire un stupide cauchemar. Je secouai la tête et s’assis en me traitant d’imbécile, me disant que j’avais trop regardé ce feuilleton. Je levai la main pour dégager les cheveux qui tombaient sur mon front, et ce fut là que je les vis, toutes les deux : une trace de coupure à peine cicatrisée et celle de la morsure de petites dents pointues…