Comme annoncé dans mon dernier message, durant le mois de novembre, je participe à l'opération "les auteurs de SFFFH francophones ont du talent".
Je vous présente donc le premier tome de ma série de fantasy "La Septième Prophétie", "Trois êtres d'exception", dont voici le premier chapitre :
Chapitre 1
Le
soleil brillait dans le ciel et éclaboussait de sa clarté le château du
Commandeur de la province de Seliny, dédiée à la Déesse Lune,
renforçant l’ambiance de fête qui y régnait ce jour-là.
Dans la
cour, des chariots et des litières étaient rangés contre les murailles,
témoignant de la présence de nombreux invités. Un peu plus loin, les escortes
de ces derniers discutaient par petits groupes en buvant et en mangeant. Des
serviteurs traversaient l’endroit d’un pas pressé, chargés de plats fumants et
odorants qu’ils emportaient dans les salles où tous les habitants du château
festoyaient. Des marmitons couraient au puits remplir des seaux qu’ils
rapportaient à toute allure aux cuisines, perdant dans leur précipitation un
peu de leur contenu. Du haut des remparts, les gardes jetaient parfois un coup
d’œil envieux à ce qui se passait en contrebas. Mais ils ne pouvaient pas
encore participer aux réjouissances, leur rôle exigeait qu’ils restent à leur
place pour surveiller les alentours. La menace était forte et leur vigilance
essentielle. Ils soupirèrent en regardant le soleil haut dans le ciel :
l’heure de la relève n’était pas encore arrivée, ils allaient devoir patienter
avant de pouvoir prendre part à la fête et se régaler à leur tour.
Dans la
grande salle du château, les conversations se mêlaient à la musique et aux chants
des baladins. La vaste pièce était décorée de guirlandes de feuilles et de
fleurs blanches entremêlées qui serpentaient le long des murs, répandant leur
odeur discrète. Des brassées de lys, de roses et de lilas avaient été jetées au
bout des tables pour compléter la décoration. Une soixantaine de convives était
réunie pour fêter les fiançailles de Lycos, le fils du Commandeur, avec
Laurana, son amour d’enfance. Bien que ces temps troublés ne soient guère
propices à de telles réjouissances, Arondas de Seliny, le Commandeur, avait
décidé de célébrer dignement cette occasion. C’était un défi de plus lancé aux
Saigneurs des Ténèbres, qui semaient la terreur sur le continent d’Ipiros
depuis six mois. Arondas était également à l’origine d’une expédition qui allait
se mettre en branle quelques jours plus tard pour les combattre. Convaincu que
seule une armée de grande envergure réussirait à abattre leurs ennemis, il
avait envoyé un message à tous les Commandeurs des provinces d’Ipiros pour les
inciter à se joindre à sa croisade. Il leur avait donné rendez-vous quatre
jours après les fiançailles dans la plaine de Peziaza, qui serait le point de
départ de l’expédition. Pour l’heure, les messagers étaient revenus sans
réponse précise quant à ceux qui répondraient à l’appel : presque tous
avaient indiqué y réfléchir et, s’ils acceptaient, être au rendez-vous. Arondas
avait fulminé devant ces réactions évasives : allaient-ils tous se terrer
en attendant d’être attaqués à leur tour ? Il était insensé qu’ils ne
veuillent pas se battre alors que le danger les menaçait tous.
Le
Commandeur mit sa rancœur de côté pour présider le banquet et parcourut
l’assemblée du regard. Tous ses vassaux étaient présents : certains
semblaient contents d’être là, d’autres moins, et leur mine renfrognée le
montrait clairement. Arondas connaissait la raison de cette rancune : en
tant que Commandeur, il leur avait ordonné de participer à l’expédition sans
leur laisser le choix, or il savait qu’une partie d’entre eux la désapprouvait
et voulait y échapper. Habituellement, il n’était pas homme à abuser de son
pouvoir pour forcer ses sujets à lui obéir, mais la situation était trop grave
pour tergiverser et il devait agir. Il faudrait une armée nombreuse pour
vaincre les Saigneurs des Ténèbres, raison pour laquelle il avait exigé un
contingent précis de soldats de la part de tous. Organiser les fiançailles de
son fils et convier ses vassaux à cette fête était une façon d’atténuer son
abus d’autorité, mais il savait que ça ne suffisait pas. Arondas se tourna vers
son voisin, Aros, son vassal le plus fidèle, qui était aussi le père de la
fiancée. Ce dernier lança à son Commandeur un regard qu’il comprit aussitôt.
Arondas se pencha vers son ami et lui chuchota à l’oreille avec un sourire
entendu :
« Cette
fête n’est pas du goût de tout le monde, n’est-ce pas Aros ?
— Non,
et ils ne s’en cachent pas. Certains te reprochent l’expédition et d’autres
désapprouvent le choix de ma fille comme épouse pour Lycos. Ils auraient
préféré que tu choisisses la leur, bien sûr ! »
Le
Commandeur secoua la tête avant de le corriger :
« Tu
sais très bien que c’est Lycos qui l’a choisie, je n’ai fait qu’approuver son
choix.
— Tu as
laissé parler l’amour plutôt que la politique. D’autres seigneurs sont plus
puissants que moi.
— Mais
moins fidèles et surtout trop ambitieux à mon goût ! Les introduire dans
ma famille aurait renforcé leur arrogance. Il est bon de les remettre à leur
place. »
Aros
parcourut la salle du regard et fit remarquer en fronçant légèrement les
sourcils :
« Je
ne vois pas Bronius, comment peut-il te faire l’affront de ne pas être
là ?
— Il
s’est blessé au cours d’une chasse il y a quelques jours et s’est fait excuser
en envoyant un messager avec un présent somptueux pour les futurs mariés. Je
l’ai remercié en lui rappelant que s’il ne pouvait participer lui-même à notre
croisade, j’attendais tout de même ses soldats au point de ralliement. »
Aros
eut un petit rire moqueur :
« J’imagine
que cette réponse n’a pas dû lui plaire ?
— Je
l’ignore, je n’ai pas encore eu de retour. De toute façon, c’est son intérêt
d’obéir : plus notre armée sera nombreuse, plus nos chances de victoire
seront grandes. »
Cette
réflexion amena une nouvelle question à l’esprit d’Aros :
« Et
les autres Commandeurs ? Tu ne sais toujours pas qui viendra ?
—
Aldébaran d’Ylios est le seul à avoir accepté tout de suite. Ce garçon n’a beau
avoir que vingt-quatre ans, il est le digne fils de son père. Eogan serait fier
de lui.
— Tu
dis qu’il est le seul ? »
Arondas
soupira tandis que la contrariété envahissait son visage :
« Oui,
les autres devaient réfléchir. Je ne comprends pas qu’ils hésitent alors que le
danger est à nos portes ! Allons-nous attendre qu’ils nous massacrent un
par un au lieu de nous battre ensemble pour les écraser une bonne fois pour
toute ?
— Ils
comptent sur la réalisation de la Septième Prophétie. »
Le
Commandeur sentit la colère l’envahir à cette réponse et gronda à voix
basse :
« Je
n’en peux plus de patienter, et ce n’est pas parce que les six premières se
sont réalisées que celle-ci va s’accomplir aussi. Six mois qu’ils ravagent nos
provinces et rien ne s’est passé ! Combien d’autres morts y aura-t-il si
nous ne faisons rien ? »
Aros
tendit les mains devant lui dans un geste d’apaisement :
« Tu
as raison, bien sûr, mais les gens ont peur, surtout vu la façon dont ces
démons ont brusquement ressurgi alors que nous pensions tous que leurs os
blanchissaient sous le soleil du Désert de Feu depuis cinq ans !
— Ça
a été notre première erreur : ne pas les poursuivre en pensant qu’ils
allaient mourir dans le désert, de faim, de soif ou de fatigue. Je ne sais pas
ce qui leur est arrivé là-bas pendant tout ce temps, mais une chose est sûre,
ils ont trouvé le moyen de survivre et de gagner la puissance qu’ils ont
aujourd’hui. »
Arondas
se tut un instant, l’air sombre, puis reprit après un soupir :
« Il
est malheureusement trop tard pour avoir des regrets, et ce n’est pas le moment
pour ça. Aujourd’hui est jour de fête pour nos enfants, ne le gâchons pas.
— Tu
as raison, amusons-nous un peu, il sera temps de penser à la guerre
demain. »
Les
deux hommes prirent leur coupe et trinquèrent.
Un peu
plus loin, Lycos était assis à côté de Laurana, à l’autre place d’honneur du
banquet. Les deux jeunes gens avaient grandi ensemble et à leurs jeux d’enfants
avaient succédé les premiers émois amoureux, jusqu’au jour où Lycos avait
annoncé à ses parents sa volonté d’épouser la jeune fille. À son grand
soulagement, son père avait aussitôt accepté, sans tenter de lui imposer une
alliance politique avec une épouse qui lui aurait déplu. Le jeune homme aurait
donc dû être fou de joie pendant cette fête qui officialisait son amour pour
Laurana. Pourtant, la prochaine croisade de son père assombrissait son humeur,
car elle planait comme une menace au-dessus de la petite assemblée. Lycos était
surtout furieux de la décision de son père de l’exclure de l’expédition, car
Arondas lui avait ordonné de rester au château pour veiller à la sécurité des
habitants. Le jeune homme savait bien que quelqu’un devait s’en charger, mais
il avait espéré que cette mission serait confiée à un autre et qu’il irait se
battre avec son père et son futur beau-père. Il avait tenté en vain de
protester : le Commandeur lui avait fait valoir qu’un représentant mâle de
la famille devait rester sur leurs terres pour les diriger en son absence, et
le jeune homme n’avait pu que s’incliner face à ses ordres. Laurana comprit ce
qu’il avait sur le cœur : elle se pencha vers lui et essaya de le détendre
en lui chuchotant à l’oreille :
« Lycos,
mon chéri, tu devrais sourire un peu ou les gens vont finir par penser que tu
n’as pas envie de m’épouser ! »
Il
sursauta et ne put s’empêcher de rougir légèrement sous la remarque. Il se
tourna vers sa dulcinée et lui prit la main en souriant d’un air contrit,
répondant sur le même ton :
« Excuse-moi
mon amour, tu as raison. C’est jour de fête pour nous deux, je ne dois pas le
gâcher. »
Il se
pencha vers elle et déposa un tendre baiser sur ses lèvres ; quelques
applaudissements vinrent le saluer et les deux tourtereaux s’empourprèrent en
souriant. Un musicien se mit à jouer un air entraînant, aussitôt suivi par le
reste de l’orchestre. Des jeunes gens se levèrent de table et commencèrent à
former une farandole au rythme de la musique : ils passèrent à proximité
de la table des fiancés et les entraînèrent avec eux. Lycos admira le sourire
éclatant de Laurana tandis qu’elle dansait et il laissa de côté son humeur
sombre pour s’amuser avec elle.
De sa
place, Arondas suivait des yeux avec bienveillance les danseurs : il était
heureux de voir que, pour quelques heures au moins, les Saigneurs des Ténèbres
étaient oubliés. Un serviteur déposa devant lui un faisan rôti au fumet
succulent ; avec appétit, le Commandeur s’en servit une cuisse dans
laquelle il mordit à pleines dents. Un peu de jus coula sur sa barbe, qu’il
essuya du revers de la main. Comme lui, Aros dévorait sa viande de bon appétit,
avec ses doigts. Leurs épouses, plus raffinées, utilisaient leurs couverts pour
déguster leurs mets. Une servante passa remplir les coupes d’un vin rouge
épais, sombre comme le sang, au bouquet capiteux. Les deux hommes en burent un
peu, savourant son goût puissant dans leur bouche.
Autour
d’eux, l’atmosphère se détendait : les boissons et la nourriture aidant,
les mines des convives étaient moins renfrognées et tous finissaient par
s’amuser. Les musiciens redoublaient d’ardeur pour faire danser les jeunes gens
à des rythmes de plus en plus endiablés. Lycos avait pris Laurana dans ses bras
pour une ronde effrénée : la jeune fille tournoyait, à bout de souffle, en
laissant éclater son bonheur. Elle passa les bras autour du cou de son fiancé
pour ne pas tomber, laissant échapper un rire cristallin qui couvrit quelques
notes de musique.
La fête
battait son plein quand, soudain, Arondas sursauta : au travers du
brouhaha de la fête, il venait d’entendre des rumeurs au-dehors et quelques
cris. À côté de lui, Aros aussi les avait perçus et il s’était raidi. Le
Commandeur fit signe à son ami de ne rien laisser paraître ; d’un geste
discret, il appela son intendant et lui ordonna à voix basse d’aller voir ce
qui se passait, sans alarmer les convives qui semblaient ne rien avoir
remarqué. Arondas leva la tête et croisa le regard de son fils : si son
visage était toujours joyeux en apparence, il lut dans ses yeux que, comme lui,
le jeune homme avait senti quelque chose.
Quelques
minutes de tension s’écoulèrent pour eux : les invités ne s’étaient
toujours rendu compte de rien. Arondas et Aros attendaient les nouvelles,
nerveux. Le Commandeur sentit la main de son épouse se poser sur la
sienne : elle aussi avait conscience de la menace. Il se pencha vers elle
et lui murmura à l’oreille :
« Si
le danger se confirme, rassemble les femmes et les enfants et réfugiez-vous
dans les souterrains.
— Entendu. »
Le cri
perçant du cor d’alarme retentit au moment où l’intendant revenait en courant
dans la grande salle. Ce son fut aussitôt recouvert par un énorme bruit qui
retentit en faisant vibrer tout le château. La musique et les chants
s’arrêtèrent net et tous purent entendre l’intendant annoncer au Commandeur
d’une voix affolée :
« Les
Saigneurs des Ténèbres viennent de surgir de nulle part, ils attaquent le
château et sont déjà à la grande porte ! »
La
panique s’empara aussitôt des invités : certains se mirent à crier,
accusant Arondas de les avoir attirés dans un piège. Les femmes se lamentaient,
les enfants pleuraient ou couraient dans tous les sens, affolés par la soudaine
agitation. Le Commandeur se leva et tonna d’une voix puissante, pour mettre fin
au brouhaha :
« Taisez-vous !
Ça suffit, écoutez-moi ! »
Le
silence se fit dans la salle, presque aussitôt brisé par les rumeurs des
combats féroces qui se déroulaient au-dehors et les cris sauvages poussés par
les assaillants. Arondas reprit en haussant le ton, pour tenter de couvrir les
bruits :
« Que
les femmes et les enfants se rassemblent autour de mon épouse ! Quant aux
hommes, qu’ils viennent se battre avec moi ! »
Le
tumulte enflait à l’extérieur de la grande salle et le Commandeur comprit
qu’une partie des Saigneurs des Ténèbres avait réussi à forcer le barrage des
soldats pour arriver jusqu’à eux. Ses hommes étaient pourtant nombreux et bien
entraînés, il ne comprenait pas comment leurs ennemis avaient pu les vaincre si
vite. Il se félicita d’avoir gardé son épée avec lui et la tira de son fourreau
pour montrer à tous qu’il n’avait pas peur du danger. Lycos prit Laurana dans
ses bras et lui donna un rapide baiser, puis l’envoya aider leurs mères à
rassembler les plus faibles pour les aider à fuir. Le jeune homme rejoignit son
père en courant :
« Que
devons-nous faire ?
— Tu
vas emmener les femmes dans le souterrain et les protéger.
— Non,
je veux me battre avec vous !
— Tu
sais bien qu’elles ne pourront pas se défendre seules. Vas-y et ne discute pas,
c’est un ordre ! »
Lycos
se détourna à regret et rejoignit le petit groupe qui se constituait près d’une
fenêtre à l’opposé de l’entrée, pour fuir par le passage secret qui partait de
la salle. Au même moment, la porte vola en éclats, projetant au sol les
serviteurs qui essayaient de la retenir, et l’enfer se déchaîna. Une vingtaine
de soldats vêtus d’armures rouges et noires dégoulinantes de sang, leur épée
rougie à la main, surgirent en hurlant et taillèrent en pièces tous ceux qui se
trouvaient sur leur chemin. Les gardes attaquèrent aussitôt, mais leurs armes
semblaient rebondir sur l’acier, sans parvenir à l’entamer. Très vite, le
combat se révéla inégal et tourna au massacre pour les défenseurs du château.
Leurs assaillants s’éparpillèrent dans la salle, livrant passage à deux des
leurs. Le premier, de haute taille, portait une armure travaillée au plastron
orné d’un dragon menaçant à la gueule grande ouverte, et un heaume surmonté
d’une longue queue de loup teintée de sang qui retombait dans son dos. Il
tenait à la main droite une épée de taille impressionnante, dont la garde
reproduisait le motif de son plastron. L’armure de l’homme qui le suivait était
moins décorée, mais dénotait tout de même un rang plus élevé que simple soldat.
Un frisson glacé s’empara de tous les convives quand ils comprirent qu’il
s’agissait de Ranxor lui-même, le maître des Saigneurs des Ténèbres, et d’un de
ses lieutenants. Arondas ne s’y trompa pas : il se précipita aussitôt vers
lui pour l’affronter, tandis qu’Aros se lançait dans un combat avec le second
homme. Le Commandeur frappa Ranxor en cherchant à atteindre son cou. Ce dernier
para aussitôt l’attaque de sa lame trempée de sang, en bloquant l’arme, et
laissa éclater un rire mauvais qui résonna de façon métallique derrière la
visière abaissée :
« Pauvre
fou, espères-tu vraiment pouvoir me vaincre ? Ne sais-tu pas que Vulcor et
Aguerra m’ont rendu invincible, ainsi que tous mes soldats ?
—
Balivernes, tu n’es qu’un homme et tes dieux démoniaques ne peuvent rien contre
la puissance des nôtres !
— Tes
dieux seront bientôt réduits en poussière, tout comme ce château et ses
habitants d’ici un instant ! »
Dégageant
son épée d’un geste si rapide qu’Arondas en perdit l’équilibre, Ranxor en
enfonça la lame dans son ventre, le transperçant de part en part. Le Commandeur
poussa un cri étranglé ; il aperçut Aros tomber à terre, mortellement
touché par son ennemi. Sous la douleur, Arondas lâcha son arme. Ranxor la
rattrapa de la main gauche avant qu’elle ne touche le sol et la planta dans la
poitrine de son adversaire, lui arrachant un nouveau râle. Il retira en même
temps les deux lames et le sang se mit à couler à flots, giclant sur son armure
qui sembla s’en gorger. Alors que le Commandeur tombait à genoux et essayait
d’arrêter l’hémorragie en pressant ses blessures de façon convulsive, son
adversaire croisa les deux épées sur sa gorge et, d’un coup puissant, le
décapita net. Le combat était terminé, la croisade d’Arondas de Seliny achevée
avant même d’avoir commencé.
Lycos
avait assisté impuissant au duel qui s’était déroulé trop rapidement pour qu’il
puisse intervenir. Fou de rage, il ordonna à sa mère de fuir, avant de se
lancer dans la bataille, droit sur Ranxor. Aveuglé par sa colère, il ne
remarqua pas que l’adversaire d’Aros s’interposait. La lame de son épée fusa
devant lui et la tête du jeune homme gicla, tranchée net. Emportée par la
violence du coup, elle tomba au sol, vers le groupe des femmes, aux pieds de
Laurana qui ne put retenir un hurlement d’horreur à cette vision. Son cri
attira aussitôt l’attention des Saigneurs des Ténèbres sur elles, car elles
n’avaient pas encore atteint l’entrée du passage qui leur aurait permis de
fuir, figées par la peur quand leurs ennemis avaient envahi la pièce. Toute
retraite leur était désormais impossible et elles n’étaient pas de taille à se
défendre contre ces monstres. Ranxor fut sur elles le premier : il enfonça
sa lame dans la poitrine de Laurana, qui était la plus proche. Son lieutenant
se précipita sur l’épouse d’Arondas et la saisit par la chevelure sans
ménagement ; de son autre main, il utilisa son épée pour l’égorger. Le
sang jaillit de l’entaille et se répandit sur sa robe blanche, l’imprégnant
d’écarlate en quelques secondes. Elle tomba à genoux et, lorsqu’il lâcha ses
cheveux, elle s’effondra à terre, agonisant dans la mare de sang qui s’étalait
sous elle.
Autour
d’eux, les Saigneurs des Ténèbres massacraient sans pitié tous ceux qui
essayaient de leur échapper. Ils soulevaient les nappes pour débusquer les
serviteurs dissimulés sous les tables et les tiraient sans ménagement pour leur
faire partager le sort de leurs maîtres. Des convives tentèrent de se cacher
derrière les tapisseries pendues au mur, mais leur présence était visible et
les soldats les transpercèrent de leurs épées au travers du tissu qui se teinta
de leur sang. Partout dans la salle, mais aussi dans les couloirs et dans la
cour, les râles d’agonie des occupants du château se mêlaient aux cris bestiaux
des Saigneurs des Ténèbres qui décimaient systématiquement tous ceux qu’ils
trouvaient. Ils les traquaient sans pitié, parcourant toutes les pièces pour en
déloger les derniers survivants. Certains soldats bloquaient les issues pour
empêcher toute fuite. Les ordres de leur maître avaient été clairs : nul
ne devait en réchapper, tous devaient mourir pour en faire un exemple et
décourager à jamais toute velléité de résistance.
Peu à
peu, la rumeur diminua et le silence retomba sur les lieux. Partout régnait le
même spectacle de mort et de désolation, les cadavres démantelés, mutilés,
baignant dans des mares de sang.
Dans la
grande salle, Ranxor se tourna vers l’homme qui ne l’avait pas quitté de toute
l’attaque :
« Alors
Romaric, est-ce qu’ils sont bien tous morts ? »
Ce
dernier releva la visière de son heaume et interrogea quelques soldats qui
venaient d’arriver. Il confirma à son chef avec un sourire satisfait :
« Oui,
tous jusqu’au dernier, personne n’y a échappé, comme tu l’avais
ordonné ! »
Ranxor
brandit les deux épées en l’air et proclama d’une voix forte :
« Voilà
le sort qui attend tous ceux qui oseront se dresser contre nous ! La mort
et la destruction totale ! »
Il
baissa brusquement sa main gauche dans un geste plein de hargne et la lame de
l’épée d’Arondas se brisa net sur le sol de pierre. Il rengaina la sienne, se
pencha et ramassa les têtes du Commandeur et de son fils pour les lancer à un
soldat en ordonnant :
« Va
les planter sur des piques au bord de la route, je veux que tout le monde les
voit ! »
Il
continua par d’autres instructions à l’attention de ses hommes :
« Pillez
cet endroit, emportez tout ce que vous pourrez, et prenez aussi les chariots et
les chevaux ! Ensuite, brûlez tout ! »
Les
soldats présents dans la salle se jetèrent sur les cadavres pour les dépouiller
de leurs bijoux et de leurs bourses, avant de sortir les bras chargés de leur
butin. Dans les couloirs, ils entraient et sortaient des chambres, emportant
des coffres de vêtements, des armes et des provisions volées dans les réserves.
Ils en chargèrent les chariots et commencèrent à les sortir de la cour, pendant
que d’autres hommes déposaient des sacs de poudre au pied des murailles et dans
le château.
Ranxor
était resté en retrait, seul avec Romaric dans la salle du banquet. Il saisit
une torche enflammée fichée dans un des supports du mur et s’approcha des
tables. À cet instant, une jeune femme aux longs cheveux noirs entra dans la
pièce : elle était couverte de sang de la tête aux pieds, comme si elle
s’était roulée au milieu des corps, et tenait à la main un long couteau dont
elle semblait s’être servie abondamment. Ranxor se tourna vers elle :
« Alors
Venin, Aguerra est satisfaite ?
— Oui,
elle a reçu de nombreux tributs. Vulcor attend les siens maintenant !
— Il va
les avoir, nous allons tout brûler, je vais m’en charger moi-même ! »
Il
commença par enflammer les nappes, puis les tapisseries, avant de s’approcher
des cadavres pour les immoler à leur tour. Il sortit de la pièce avec Romaric
et Venin qui s’étaient eux aussi saisis de torches et embrasaient tout,
notamment les mèches des sacs de poudre, avant de fuir.
Des
explosions commencèrent à secouer les murs tandis que les Saigneurs des
Ténèbres quittaient l’endroit avec leur butin. Alors que la colonne
s’éloignait, les murailles s’effondraient peu à peu, sapées, ensevelissant sous
leurs pierres les corps des victimes du massacre.
Quand
l’incendie qui ravageait les lieux se calma de lui-même, de longues heures plus
tard, le fier château n’était plus qu’un tas de ruines fumantes. Un peu plus
loin, sur la route qui y menait, deux têtes ensanglantées étaient plantées sur
des lances fichées dans le sol, comme un avertissement muet. Des nuées de
corbeaux se mirent à tournoyer dans le ciel, attendant que la température
baisse pour pouvoir se délecter des cadavres calcinés.
Des
villages environnants, des hommes terrorisés vinrent constater l’étendue du
désastre, et la nouvelle de la destruction se propagea à toute allure dans la
province, avant de gagner les provinces voisines. Tous ceux qui avaient
envisagé de se joindre à la croisade du Commandeur y renoncèrent aussitôt :
les Saigneurs des Ténèbres n’étaient plus humains, personne ne pourrait les
vaincre, hormis les trois êtres d’exception de la Septième Prophétie, que les
gens surnommaient déjà les Sauveurs. Il ne restait plus qu’à prier pour que
cette dernière s’accomplisse au plus vite.
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Et comme je vous l'annonçais il y a quelques jours, le tome 2 "Ranxor" est sorti ce matin, vous pouvez le retrouver également sur Amazon :
Bonne lecture !